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Des voisins de bureau aux antipodes

Les grandes entreprises comptent de plus en plus sur des équipes virtuelles pour mener à bien différents types de projets. Un phénomène en croissance que connaît bien le professeur Olivier Caya

Olivier Caya, professeur au Département de systèmes d'information et méthodes quantitatives de gestion.
Olivier Caya, professeur au Département de systèmes d'information et méthodes quantitatives de gestion.
Photo : Michel Caron

5 février 2009

Robin Renaud

Un après-midi à New Delhi. De son bureau, Umesh, programmeur pour un géant mondial de l'informatique, travaille à concevoir le code d'un logiciel destiné à une entreprise américaine. À 19 h, son quart de travail prend fin et Angela, sa collègue de Dusseldorf, prend le relais. Fuseaux horaires aidant – il est 14 h en Allemagne – Angela aura quelques heures pour tester les capacités du programme. Depuis l'Europe, elle communique avec les analystes informatiques de Montréal qui eux, débutent leur journée. Malgré la distance, les collègues discutent des bogues et des problèmes résolus. Le travail de cette équipe virtuelle ne connaît pas d'interruption. Et le logiciel devrait être livré selon l'échéancier prévu.

Cet exemple est fictif, mais constitue une réalité bien présente dans les grandes entreprises, celle des équipes virtuelles de travail. C'est le sujet qui occupe l'essentiel des travaux d'Olivier Caya, professeur à la Faculté d'administration.

«L'évolution des équipes virtuelles intéresse les chercheurs depuis leur apparition au milieu des années 90, et plus particulièrement depuis les cinq dernières années», dit le professeur au Département de systèmes d'information et méthodes quantitatives de gestion. Plusieurs chercheurs ont voulu étudier les facteurs clés de succès des équipes dont le noyau est fragmenté dans différents lieux géographiques.» Dans le premier volet de son doctorat, Olivier Caya s'est affairé à recenser l'ensemble des quelque 150 articles scientifiques qui avaient analysé le phénomène.

«Les équipes de travail virtuelles ont vu le jour avec les développements des télécommunications et des technologies de l'information, mentionne le chercheur. Or, on constate que ces équipes ne présentent pas seulement des problématiques d'ordre technologique, mais plutôt des enjeux de relations humaines. Bref, il n'est pas uniquement question de vérifier quelle technologie génère le plus d'efficacité, mais plutôt de voir comment assurer une réelle cohésion d'équipe, une confiance mutuelle, et un sens de la responsabilité entre collègues géographiquement dispersés en vue d'un objectif commun.»

Sur le terrain

Après avoir dressé un état de la situation à partir d'articles spécialisés, Olivier Caya et des collaborateurs ont cherché à «décomplexifier» le phénomène des équipes virtuelles en menant une vaste étude auprès de 700 employés composant 102 équipes d'une grande entreprise internationale répartie dans 16 pays. Ils ont travaillé à déceler les facteurs directs ou indirects qui influencent la performance des équipes virtuelles.

La principale conclusion qui se dégage de cette étude, c'est qu'il faut s'assurer de bien intégrer les expertises complémentaires de chacun des membres de l'équipe. «On constate que des conflits interpersonnels peuvent naître en raison d'une mauvaise compréhension du rôle de chacun, dit Olivier Caya. Ainsi, un leader aura avantage à s'assurer de bien faire connaître le rôle, les compétences et les responsabilités de chaque individu à l'ensemble de l'équipe.»

Les gestionnaires d'équipes virtuelles ont aussi avantage à miser sur deux éléments. D'une part, en mettant en place de bons mécanismes de coordination appuyés sur les technologies. D'autre part, il faut bien encadrer la façon dont seront employées ces technologies, en fixant des normes d'utilisation qui seront adoptées à l'échelle de toute l'équipe.

Quelles technologies choisir?

Selon Olivier Caya, le choix ou la nature des technologies de communication – courriel, messagerie instantanée, vidéo ou audioconférence – joue un rôle moins important qu'anticipé dans le succès des équipes virtuelles. C'est plutôt la façon dont les membres des équipes s'approprient les technologies qui est primordiale.

«Un gestionnaire devra voir à ce que chaque membre de l'équipe connaisse bien les limites du média employé, dit-il. Par exemple, il sera plus judicieux de recourir aux technologies asynchrones (courriel et gestionnaires de documents partagés) si on veut communiquer avec un collègue d'un pays où c'est la nuit. On a aussi remarqué que la vidéoconférence sera utilisée davantage en début de projet, mais qu'au bout d'un certain temps, l'audioconférence sera plus appréciée, puisque les interlocuteurs se sentent moins distraits par l'image.»

Le professeur Caya constate aussi que les gestionnaires efficaces d'équipes virtuelles ont intérêt à éviter le phénomène des communications parallèles. «Ils doivent s'assurer de rendre publics les éléments clés qui concernent l'évolution du projet pour éviter que des informations pertinentes soient ignorées de certains membres de l'équipe.»

Pour ce faire, de plus en plus d'équipes virtuelles utilisent des technologies de collaboration basées sur Internet qui visent à recréer les principes du travail d'équipe conventionnel (face-à-face). Ces technologies renferment des fonctionnalités de rencontres virtuelles, de partage de documents et d'applications, de gestionnaire de tâches, de messagerie instantanée et d'audio ou vidéo conférence.

«Bref, en trame de fond, on constate que ce sont surtout les conflits interpersonnels reliés à la tâche qui ont un impact négatif sur la performance des équipes virtuelles. Le leader doit voir à imposer une vision commune des objectifs du projet. Plutôt que d'exercer un leadership charismatique – difficile à mettre en place avec la technologie – il doit plutôt miser sur un leadership axé sur la tâche. Par exemple, il est important d'instaurer un climat de confiance entre les membres de l'équipe. Ainsi, quand les membres savent qu'ils peuvent compter sur leurs collègues et que le travail sera bien fait, le gestionnaire aura moins de contrôle à exercer.»

Modèles de succès

Une étude a estimé qu'en 2002, les grandes entreprises mondiales avaient consacré aux équipes virtuelles des sommes d'environ deux milliards de dollars, alors qu'aujourd'hui, ce type d'activité commande des investissements de plus de sept milliards. Cette réalité semble donc là pour durer. Olivier Caya croit bien avoir à étudier le phénomène pour au moins les cinq prochaines années.

Déjà, de grandes entreprises ont eu des expériences concluantes avec des projets majoritairement ou exclusivement développés par des équipes virtuelles. «C'est le cas de Boeing qui, il y a quelques années, a mis au point un nouveau satellite de télécommunications en quelques mois, alors que l'équipe était totalement décentralisée, explique le chercheur. Le modèle fait ses preuves et qui sait, d'ici quelques années, ce modèle d'opération deviendra peut-être la norme pour plusieurs entreprises, et même des sociétés publiques et d'autres organismes.»

D'ici là, le professeur Caya aura sans doute eu maintes occasions de fournir son expertise pour mieux cerner cette nouvelle donne.